CHAPITRE 21
Les Nymphes du Lac aux Mille Craintes
Pendant que Morgan, fou de colère, arpentait la pièce pestant contre le vol dont il venait d’être victime, et contre la disparition des enfants — disparition qui lui ôtait tout espoir de mener ses desseins à bien — et alors que ses acolytes se battaient encore contre leurs assaillants, nos amis avaient réussi à mettre assez de distance entre eux et le palais pour passer inaperçus.
Ils ne leur restaient que quatre à cinq milles pour atteindre le chemin secret qu’ils avaient emprunté à l’aller. Ce sentier, que les hommes des montagnes étaient les seuls à connaître, prenait vie au pied de la Montagne Brisée — comme les Azkas l’avaient surnommée et qui s’était fendue à sa base lors d’un tremblement de terre — et s’étirait jusqu’à l’autre bout. Une faille inespérée permettant le passage à condition de s’y faufiler en file indienne. Bientôt, ils ne seraient plus visibles de leurs ennemis et pourraient continuer leur route en toute tranquillité.
Cette diversion providentielle leur profitait au plus haut point. Mais ils se doutaient bien que le Magicien finirait par découvrir l’absence des enfants, si ce n’était déjà fait, et que l’alerte serait bientôt donnée les concernant. Pour cela, voyant la cadence ralentir, Viggo se vit dans l’obligation de remonter le moral de ses troupes.
– Allons ! Courage ! Nous n’avons plus beaucoup à couvrir pour atteindre la Montagne Brisée. Après, nous serons hors d’atteinte. Encore un petit effort !
La gravité de la situation se lisait sur chaque visage ; la tension emplissait l’air. Tous, y compris les plus jeunes, sentaient flotter au-dessus de leur tête le couperet qui les empêcherait de réussir leur retraite.
Si l’attention du Magicien se dirigeait vers eux, les regards ne tarderaient pas à se tourner également de ce côté-ci du Mont Neigeux. Ils ne connaissaient rien de ces êtres et créatures qui avaient assailli le château de glace. Et encore moins les raisons de cet assaut. Les femmes-libellules et les Kobolds noirs devenaient, eux aussi, des ennemis potentiels susceptibles de leur barrer la route. Et il était plus qu’évident qu’ils n’étaient pas assez nombreux pour s’opposer à pareille armée.
Les Valrons et leurs passagers furent donc envoyés en éclaireurs pour s’assurer que la voie demeurait libre et qu’aucune autre surprise ne les attendait au bout. Plus que quelques milles à parcourir et ce serait gagné ! Ils seraient définitivement cachés de leurs ennemis pour un temps.
– Regardez mes amis ! Nous y sommes presque ! les encouragea Viggo, apercevant la brèche dans la roche se profiler à l’horizon.
L’espoir qui se lut sur les visages à ce moment-là fut cependant de courte durée. Le silence fut rompu par d’assourdissants bruissements d’ailes se rapprochant d’eux dangereusement par la droite.
Ils levèrent la tête dans cette direction, scrutant avec attention le ciel toujours obscurci par les nombreux nuages gris qui le recouvraient, à la recherche des créatures ailées, mais… rien. Or, le son était toujours là, de plus en plus distinct. Avaient-elles le pouvoir de se cacher derrière les nuages ?
Pendant que ceux qui fermaient la marche se préparaient au combat pour laisser à leurs compagnons l’occasion de s’échapper en s’engouffrant dans la trouée creusée par la nature, ces derniers continuèrent d’avancer vers leur but initial : mettre les enfants à l’abri quoi qu’il en coûte.
Ils ne virent les Nymphes du Lac aux Mille Craintes qu’à la dernière minute. Elles plongèrent sur eux à une vitesse folle, les entourant de toute part. Ils n’eurent pas le temps de réagir. Même ceux qui se tenaient sur le qui-vive depuis l’apparition du son insolite qui sortait a priori de leur bouche furent pris de court.
Lorsque les marcheurs présents — à l’exception des Azkas qui les avaient aperçues bien avant grâce à leur nyctalopie, et à une vue à la portée extraordinairement longue — virent à quoi ressemblaient les créatures ailées, ils ne purent qu’en conclure que la description faite par les hommes des montagnes quelques minutes plus tôt ne leur rendait pas justice. Quelle vision enchanteresse !
Mi-femmes, mi-libellules, elles avaient de grands yeux clairs hypnotiques, cerclés de noir, aux iris d’un bleu, vert, ou ocre intense et de beaux cheveux longs ou courts encadrant un visage d’une très grande finesse et beauté. Des créatures sorties tout droit d’un conte. Un mauvais conte, dans ce cas précis, puisque ces Nymphes enchanteresses ne cherchaient qu’à leur nuire ; elles fonçaient sur eux en poussant des clameurs insupportables virant dans les aigus selon l’intensité.
Se parlaient-elles entre elles ? se demandèrent nos amis. Ce qui, bien sûr, n’était pas tout à fait juste. Elles ne communiquaient pas de cette manière (elles n’avaient pas le don de la parole), elles chantaient. Nos compagnons furent obligés de se couvrir les oreilles avec la paume de leurs mains pour ne plus les entendre tant leurs cantiques s’avéraient douloureux. Se retrouvant, ainsi, désarmés. Certains, même, plongèrent à genoux sur la terre caillouteuse sous l’impact de leurs déplaisantes litanies.
Sous leurs airs délicats, les attaques des Nymphes demeuraient implacables. Telles des sirènes amenant les bateaux à s’échouer sur les récifs, elles attiraient les Azkas vers elles à l’aide de leurs chants démoniaques pour mieux les balayer de leurs ailes. À première vue des plus frêles et délicates étant donné leur finesse, leur transparence et leur légèreté, mais néanmoins intraitables. Projetant les hommes des montagnes, telles de vulgaires mouches, contre la paroi des rochers. Si belles et pourtant si terribles. Ainsi étaient les Nymphes du Lac aux Mille Craintes.
Enfin, sans raison apparente, les femmes-libellules qui tourmentaient les Azkas délaissèrent soudain leurs victimes et, aussi vite qu’elles étaient apparues, s’éclipsèrent à la suite des autres en martelant l’air de leurs magnifiques ailes. Les hommes des montagnes restèrent là, couchés sur le sol, complètement sonnés.
Étonnée de cette soudaine dispersion, mais soulagée de ne plus entendre leurs complaintes assourdissantes, la compagnie dans son entier recouvra l’usage de ses mains. Les compagnons qui se tortillaient une minute avant, agenouillés ou allongés à même la terre, la neige et l’herbe, se relevèrent alors peu à peu.
Ceux qui n’avaient rien portèrent tout d’abord secours aux blessés qui ne souffraient heureusement que de blessures superficielles. Ils ramassèrent ensuite les sacs répandus à même le sol que certains avaient perdus lors de l’attaque-surprise.
Encore sonnée, Amanda aidait Dany à s’extirper de l’endroit où elle l’avait forcé à se cacher. Elle avait réussi à le mettre à l’abri dans un tronc creux qu’elle avait aperçu non loin de là où ils se trouvaient au moment de l’assaut.
– Ça va ? Tu n’as rien, mon chéri ?
– Non, ça va ! Mais j’ai eu vraiment très peur, maman. Qu’est-ce que c’était ? On aurait dit des fées, mais pas très gentilles, celles-là !
Après l’avoir retourné dans tous les sens, constatant avec soulagement qu’en effet il n’avait rien, elle s’empressa d’appeler Clara qu’elle avait perdue de vue dans le feu de l’action. Doucement d’abord. Puis plus fort, soudain submergée par un mauvais pressentiment.
Elle se mit à vociférer plusieurs fois son prénom avec autant de force que ses cordes vocales le lui permirent. Sans aucun succès toutefois. Apercevant Marcus au loin, elle courut vers lui, désemparée.
– Marcus ! Elle le rejoignit, essoufflée. Je ne vois Clara nulle part.
– Maximus n’est plus ici non plus, déclara-t-il, dans un calme maîtrisé.
Le reste de la troupe se réunit autour d’eux.
– Et ils ne sont pas les seuls. C’est à n’y rien comprendre ! D’autres enfants manquent à l’appel, surenchérit Viggo devançant ainsi Amanda qui s’apprêtait à demander à son ami d’enfance ce qu’il entendait par « n’est plus ici ».
– Une des créatures m’a arraché Maximus des bras, les informa Marcus. Je me suis battu comme j’ai pu pour l’empêcher de l’emmener avec elle, mais elle a été plus forte. On aurait dit que ce qu’elle voulait coûte que coûte c’était mon garçon ! Je crois que le cri qu’elle a lancé pour que je lâche prise m’a percé un tympan, ajouta-t-il en se frottant l’oreille gauche du plat de sa main.
Amanda n’avait pas fait attention sur le moment, beaucoup trop bouleversée par la nouvelle disparition de sa fille, mais maintenant que Marcus en parlait…
– Marcus, ta main !
La main et l’oreille du jeune roi étaient maculées de sang.
Désappointés et impuissants, ils regardèrent les Nymphes disparaître au loin en emportant avec elles Clara, Maximus, Lucie, Milo, et Norian également qui, voulant empêcher les créatures de prendre son ami Azka, s’était agrippé à lui de toutes ses forces. Soulevé dans les airs en même temps que Milo, les adultes avaient vu Norian lâcher prise et être rattrapé dans sa chute en plein vol par une autre des créatures, pour être finalement emmené avec les autres enfants.
L’attaque qu’ils venaient d’essuyer n’était pas due au hasard, ils en étaient persuadés. Marcus l’avait dit : elles ne voulaient pas tous les enfants, mais seulement certains d’entre eux. Pourquoi ? Quel point commun y avait-il entre l’assaut du palais et le leur ?
Cette histoire n’avait vraiment aucun sens. La compagnie se vit néanmoins à nouveau contrainte de changer ses plans. Car il était hors de question d’abandonner les enfants à leur sort.
Il ne leur restait plus qu’à suivre ces Nymphes diaboliques jusqu’à leur repère. Jusqu’au Lac aux Mille Craintes. Or, pour y arriver, ils allaient devoir rebrousser chemin et longer le flanc est du Mont Neigeux. Seul passage leur permettant de passer de l’autre côté de la montagne du Magicien.
À suivre…
Merci d’avoir lu cet extrait jusqu’au bout. S’il vous a plu, n’hésitez pas à vous manifester en laissant un cœur ou un court commentaire. Ou les deux ! Ce sera toujours un plaisir de vous lire.
Bien à vous,L. Carmen
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