Voici un extrait, tiré de ma toute première comédie romantique. L’idée a germé dans mon esprit, il y a une dizaine d’années maintenant, autour d’un thé et d’une discussion animée avec Audrey, ma sympathique belle-sœur bretonne. Et de fil en aiguille les premiers jets de Rosie et de son brun ténébreux ont commencé à émerger des abysses de mon cerveau !
Le roman est en cours de relecture, correction et réécriture en ce moment. Je ne l’ai pas tout à fait terminé, mais ça ne saurait tarder ! Il faudra encore qu’il repasse par des relectures, corrections, etc. après le point final. Mais, si tout va comme je le souhaite, le roman devrait sortir en fin d’année. Je croise les doigts!
Je vous mets un extrait du chapitre 6. N’hésitez pas à me donner votre avis lorsque vous l’aurez lu. Je suis preneuse de tout commentaire et suggestion.
6
Comme tous les jours en rentrant de la boulangerie, je récupère au passage le courrier dans ma boîte aux lettres. Elle se trouve à l’orée de la charmante allée cailloutée qui serpente jusqu’au perron de ma modeste demeure. Côté droit. Celle-ci est perchée sur son pied en aluminium inoxydable d’un mètre quarante de haut, planté directement dans la pelouse et rivé au sol par un petit carré de béton. L’étendue verte s’étend, quant à elle, sur tout l’avant de la maison et s’élargit sur le flanc tout du long, jusqu’à l’arrière de celle-ci. Un accès pentu cimenté mène au garage, côté sénestre de l’allée. Ma Peugeot 207 blanche de 2009 est parquée devant la grande porte bleue basculante dotée de trois hublots formant un soleil sur le panneau du haut. Elle attend sagement que je l’emmène faire sa petite balade journalière.
Je suis extrêmement fière de mon jardin. Au printemps, quand les fleurs et arbustes que j’ai plantés dès mon arrivée sur les lieux, il y a un peu plus de neufs ans, fleurissent, on assiste avec ravissement à une explosion de couleurs et de senteurs.
J’éprouve un plaisir immense à jardiner. Cela a un effet thérapeutique et apaisant sur moi. Chaque fois que j’ai des soucis, que je suis énervée, contrariée, je m’empresse d’aller désherber, planter, bécher, rempoter… Tout ce que je peux dénicher à faire dehors, les doigts dans la terre, qui m’occupe l’esprit et les mains.
Trône également au milieu du petit carré de jardin devant la maison un séduisant puits que j’ai acquis trois ans plus tôt et qui m’avait coûté les yeux de la tête. Il est embelli de plusieurs vasques regorgeant de fleurs de différents coloris et cerné pour mon plus grand déplaisir, gâchant le tableau, de sept horribles et cauchemardesques nains de jardins. Tous cadeau de ma mère, je tiens à le préciser. J’abhorre ces hideuses figurines et je ne tiens en aucun cas à y être associées. Si j’ai un regret dans ma vie, c’est bien d’avoir cédé au chantage de ma génitrice le jour où elle a eu la malencontreuse idée de m’offrir le gnome numéro un. Si j’avais su qu’il serait le premier d’une série interminable, j’aurais à coup sûr tenter de trouver une excuse valable pour le refuser sans froisser la susceptibilité de ma sensible mère.
Depuis la mort de mon père, ma mère, Hélène Leroy, est devenue une adepte des brocantes et des vide-greniers. La première fois qu’elle a participé à l’une de ces manifestations, elle a eu la fantaisie (si seulement elle avait plutôt eu une illumination pour, je ne sais pas moi, un sac à main de marque, une paire de chaussures, un meuble vintage…) de craquer pour l’un de ces ridicules petits bonhommes affublés de costumes et bonnets tout aussi absurdes. Et, dès lors, tous les ans que Dieu fait, pour fêter l’arrivée du printemps, j’ai droit à l’un de ces fichus barbus ventripotent. Ça fait sept ans que ça dure !
Je ne sais vraiment pas le délire qu’elle a avec ces maudites statuettes. Fait-elle une sorte de fixation ou un truc similaire ? Essaie-t-elle de me faire passer un message ? Et si oui, lequel ? Parce que, au bout de toutes ces années, il est clair que je n’en ai toujours pas compris le sens caché.
Message mystique ou pas, donc, je fais les frais de ses lubies et, pauvre de moi, j’avoue que je ne sais pas comment m’en sortir. Je connais ma mère par cœur. Elle joue souvent sans s’en rendre compte sur la corde sensible pour arriver à ses fins. Surtout avec sa fille unique. Avant c’était mon père qui détenait l’exclusivité de ses caprices. Mais depuis qu’il n’est plus là, c’est moi qui m’y colle à temps complet. Aussi, s’il me prend l’envie de lui suggérer de but en blanc de se mettre ses nains de jardin où je pense, elle s’empressera de me cracher au visage que je suis une ingrate qui n’a jamais apprécié ses cadeaux à leur juste valeur. Ce dont elle n’a pas tort, en l’occurrence. Elle me fera remarquer pour la énième fois que, de son côté, elle aurait été une bien mauvaise mère si elle avait refusé les présents, pourtant affreux, que je lui fabriquais étant petite à l’école pour chaque fête des mères. Elle se mettra à larmoyer en me certifiant que ce n’est que par pur amour pour moi qu’elle les acceptait avec le sourire. J’en entendrai parler jusqu’à la fin des temps.
Il se pourrait même, d’ailleurs, qu’elle ne me parle plus du tout après ma mise au point. Et ce, pendant un bon moment. Comme la fois où, pour mon anniversaire – je m’en souviens parce que, la même année, les enfants et moi avons emménagé dans cette maison, deux ans avant la mort de mon père – elle m’avait offert cette paire d’anneaux d’oreilles gigantesques, genre perchoir à oiseaux, alors que je ne porte jamais de boucles d’oreilles. Ou très discrètes les rares fois où j’en mets.
Le pire dans tout ça, c’est qu’elle connaît parfaitement mes goûts, la bougresse ! (Ou pas. Je commence à avoir de sérieux doutes sur la question.) Le fait-elle exprès ou est-elle soudainement aspirée dans un trou noir temporel qui lui efface la mémoire à l’instant de prendre sa décision sur l’article à m’offrir ?
Enfin, bref…
Voyant que je ne m’empressais pas d’enfiler ses énormes anneaux, ma mère m’avait harcelée pour que je le fasse sans tarder au risque de la vexer. J’avais alors prétexté que, mes vêtements n’étant pas du tout coordonnés pour aller avec, je préférais attendre de pouvoir les porter avec une tenue plus appropriée. Et, bien sûr, elle avait aussitôt compris que je les détestais. Elle m’avait fait une scène et m’avait tellement échauffée que je n’avais pas pu m’empêcher de lui jeter au visage que je les trouvais abominables et qu’il faudrait me payer cher pour que je les glisse à mes oreilles un jour. La tête haute, droite comme un i, elle avait rempaqueté l’étui avec les boucles à l’intérieur, avait ordonné à mon père de lever ses fesses du canapé s’il ne voulait pas se retrouver avec une demande de divorce sur les bras, et avait quitté la maison furieuse. Mon père, résigné et penaud, sur les talons. Elle m’avait fait la gueule pendant une semaine entière.
En règle générale, ma mère ne passe pas un jour sans m’appeler. C’est vous dire à quel point je l’ai heurtée ce jour-là ! Alors, hors de question de lui faire de la peine une fois de plus. Pour cette raison, lorsqu’elle m’offre un de ces grotesques nabots multicolores, je l’accepte avec un enthousiasme exagéré et un sourire hypocrite.
Au début, les premiers nains se sont retrouvés dispatchés au milieu de mes parterres de fleurs, histoire de les camoufler le plus possible. Mais lorsque j’ai acheté le faux puits, j’ai aussitôt pensé les placer, à l’inverse, bien en vue au pied et autour de celui-ci. En vérité, j’avais le secret espoir (espoir complètement évaporé depuis) que quelqu’un ait la merveilleuse idée de m’en délester rapidement. Seulement, il faut croire que les voleurs de tels objets ne foisonnent pas à Vouvan-les-forêts.
Manque de bol, personne n’a l’air de s’intéresser à ce genre d’article ! Du coup, pour ma plus grande affliction, non seulement pas un nain ne manque à l’appel, mais, en plus, chaque printemps, ma mère m’en offre un supplémentaire à ajouter à la collection. Cette année, j’ai eu droit à mon septième barbu. Celui-là porte un bonnet rouge, un pantalon bleu, une chemise orange et pousse une brouette l’air assez content de lui. Beurk ! Je ne vous en voudrais même pas si l’envie vous prenez de me baptiser officiellement Blanche Neige et ses sept nains de jardin ridicules. Ou un truc similaire. Je suis d’accord, c’est à se tordre de rire !
*
En pénétrant dans le vestibule, je pose le courrier sur la console, mon sac à main sur la chaise à côté et j’accroche mon manteau à la patère. Puis, je monte directement à l’étage pour aller prendre ma douche. La journée a été démente à la boulangerie ; on a eu un monde fou ! Je n’avais qu’une hâte : que ça se termine enfin.
Depuis mardi, et sa rencontre avec Robin, je n’ai pas revu monsieur-je-me-crois-plus-fort-que-les-autres. La première réflexion que je me suis faite alors a été qu’il était peut-être souffrant. Ça arrive à tout le monde. Mais, selon mon fils, M. Le Guen n’a pas manqué un seul jour de cours depuis le début de la semaine. (Hier soir, j’ai discrètement soutiré les infos à Samuel qui m’a certifié, avec un sourire satisfait, que son prof de maths se portait à merveille.)
Sami a l’air de beaucoup apprécier Maximilien Le Guen. Pourquoi ? Impossible de savoir. Déjà deux personnes gravitant autour de moi : Gégé, et maintenant mon propre fils, se sont entichés de ce Prof à la noix ! Peut-être descend-il d’une lignée de grands sorciers bretons et les a-t-il envoutés avec son aura magique ? Peut-être n’enchante-t-il que ses pairs par pure fraternité masculine ?
N’y-a-t-il que moi qui le vois comme il est en réalité : un odieux et grossier personnage ?
Dans ce cas, s’il n’est pas malade, ni rien, sous quel prétexte je-me-la-pète-Le-Guen ne s’est-il pas présenté à la boulangerie acheter ses douze chouquettes et sa baguette habituelles ? Lui qui, à ce que j’en ai déduit en le voyant tous les jours ou presque, n’aime pas sortir de sa zone de confort. Je saisis mal la raison de son absence ; il m’avait habituée à être plus persistant. Non que ça me contrarie de ne plus le voir. Bien au contraire. J’en suis ravie ; ça me fait des vacances. Mais, tout de même !
Lorsque Robin est sorti de la boulangerie mardi matin, et qu’est advenu le tour de Prof de se faire servir, l’opération “chouquettes” s’est déroulée à peu près comme d’ordinaire. Si ce n’est que, pour une fois, je me suis parfaitement bien tenue et n’ai fait aucune gaffe. Un miracle ! (L’effet « Robin », sans doute.) Et que, lui, paraissait encore plus contrarié et énervé qu’à l’accoutumé. (Deuxième effet « Robin », là encore.) À part ces petits détails, rien de particulier n’est survenu. En tout cas, rien qui aurait pu pousser Maximilien Le Guen à ne plus revenir sur les lieux. Je ne comprends vraiment pas quel est son problème.